Entretien
Dominique Bussereau : « Il faut être porteurs d’idées, et s’appuyer sur les professionnels »
L’ancien président du Conseil départemental, désormais libre de tout mandat électif, revient pour L’Agriculteur Charentais sur la politique agricole menée en Charente-Maritime, mais aussi sur son expérience en tant que ministre de l’Agriculture.
L’ancien président du Conseil départemental, désormais libre de tout mandat électif, revient pour L’Agriculteur Charentais sur la politique agricole menée en Charente-Maritime, mais aussi sur son expérience en tant que ministre de l’Agriculture.
Au cours de votre carrière politique, vous avez occupé plusieurs postes ministériels. Vous avez notamment été le dernier ministre de l’Agriculture de Jacques Chirac. Avec le recul, que vous inspire aujourd’hui votre passage rue de Varenne ?
Quand j’avais succédé à Hervé Gaymard, j’avais dit - et ça avait été critiqué à l’époque - que c’est un « ministère de la pâte humaine ». Je garde cette expression. C’est un ministère où on est en contact avec des gens, des hommes et des femmes sur le terrain, des syndicats agricoles très importants - j’ai eu le bonheur de travailler avec Jean-Michel Lemétayer, que j’aimais beaucoup, avec les JA, avec la Confédération, la Coordination, etc... Michel Rocard, qui m’avait appelé après ma nomination, m’avait dit : « Tu verras, c’est un petit Matignon ». Et en réalité, c’est un petit Matignon parce qu’au ministère de l’Agriculture, vous avez également l’alimentation, la ruralité, l’enseignement agricole - qui est le deuxième système après l’Éducation nationale d’enseignement dans notre pays -, la pêche et la conchyliculture, ce qui évidemment est très important par rapport à notre département, et l’importance de l’Europe.
40 % du temps rue de Varenne est consacré à l’Europe. (...) C'est un ministère très européen.
Est-ce qu’il y a des moments marquants que vous gardez en mémoire ?
Des crises, aussi ; naturellement, la crise de la grippe aviaire, qui a été très violente pour les producteurs de volaille en France. C’était vraiment un moment extrêmement difficile. Il y a eu des crises plus locales. J’ai eu à gérer les dernières crises viticoles dans l’Aude. Il y a toujours, en France, un produit qui est en crise. Ça peut être un produit méditerranéen, ça peut être une crise brutale sur une production porcine dans une région...
En Charente-Maritime, l’un des moments forts de votre ministériat avait été la visite de la commissaire européenne à l’Agriculture, Mariann Fischer Boel...
Est-ce qu’il y a une rencontre avec un agriculteur ou une agricultrice que vous gardez particulièrement en mémoire ?
St-Georges-de-Didonne. Je leur disais, chaque fin de semaine, quand je les croisais au marché ou ailleurs, qu’ils étaient mes meilleurs conseillers.
Et puis il y a eu une rencontre très amusante, avec Mme Chirac qui m’avait emmené en Corrèze chez un couple d’agriculteurs du Modef, que le voyage officiel n’avait pas prévu que je rencontre. Elle me disait que c’étaient des électeurs historiques de Jacques Chirac, et ils vivaient dans une ferme au bout d’un chemin enneigé. Ils nous avaient préparé en fin d’après-midi un bon thé et un bon gâteau. Le préfet - c’était d’ailleurs notre préfet actuel de Charente-Maritime, Nicolas Basselier, qui était alors en poste en Corrèze - se demandait où nous étions passés !
C’étaient des moments assez forts. Il y en a eu également avec les agriculteurs ultra-marins, les producteurs de bananes en Martinique et en Guadeloupe, et de canne à sucre dont les productions avaient été décimées après un cyclone à la Réunion, les agriculteurs de Mayotte et de Guyane... Et dans toute la France, lors des réunions organisées par les FDSEA sur un même modèle, sans rencontres officielles en préfecture, mais où le ministre doit venir, juché sur une charrette ou derrière un feu de bois qui au bout d’une heure s’éteint alors qu’il fait très froid... C’étaient des rencontres passionnantes. J’ai essayé de faire, en moyenne, en-dehors de mes fins de semaine en Charente-Maritime, deux déplacements par semaine à travers le pays pour rencontrer les agriculteurs sur le terrain.
Les sujets qui étaient déjà des problèmes à l’époque de votre entrée en fonction (la complexité administrative de la Politique agricole commune, les revenus des agriculteurs, l’irrigation...) sont encore d’actualité aujourd’hui. Est-ce que la France n’a pas du mal à adapter ses politiques agricoles aux réalités du métier ?
L’irrigation est un problème vraiment difficile. Quand je vois les amas d’eau que notre département a eu pendant l’hiver, au printemps et même actuellement, et qu’on n’est pas capables d’en stocker, parce qu’il y a une opposition, dogmatique et vraiment sans sens de l’intérêt général, aux réserves d’eau, ça me met en colère.
Le Département a été novateur : avec Michel Doublet, avec Françoise de Roffignac, nous avons créé le Syres, nous avons voulu passer, suite au rapport de Philippe Martin, d’une eau gérée par le privé à une eau gérée par la puissance publique, en l’occurence un syndicat porté par le Département. J’espère que Françoise de Roffignac, Sylvie Marcilly et tous mes collègues réussiront à avancer sur les réserves d’eau. C’est quand même un gâchis de voir ce que des recours abusifs, malheureusement, causent dans notre département mais pas seulement, dans les Deux-Sèvres, dans la Vienne et partout en France.
Est-ce que les trente mois que vous avez passés au ministère de l’Agriculture ont influencé la politique agricole que vous avez portée dans le Département, et inversement ?
Mais il y avait aussi d’autres objectifs, comme l’installation des jeunes. J’ai beaucoup travaillé avec les JA, et nous avons toujours eu en Charente-Maritime une politique qui favorise l’installation, c’est fondamental. Et puis l’enseignement agricole : on a vraiment, avec le réseau des lycées agricoles, celui des maisons familiales et rurales - je crois beaucoup aux MFR, qui sont des outils fondamentaux d’insertion pour beaucoup de jeunes -, avec nos grandes écoles, un système de qualité.
Quand la France parle d’agriculture au niveau mondial, à l’OMC, ou au niveau européen, nous sommes très écoutés.
Vous avez peut-être donné des conseils au ministre actuel ?
C’est certainement celui des besoins d’eau, de l’accès à l’eau, ainsi que les difficultés de nos éleveurs pour se maintenir, dégager du pouvoir d’achat, dégager du revenu. Ce n’est pas simple, mais il y a de belles réussites, comme le pop-corn autour de St-Genis, des choses très originales qui ont été faites en Charente-Maritime par la profession agricole.
Quel bilan tirez-vous de la politique agricole menée par le Département, après treize ans à la présidence du Conseil ?
La crise sanitaire que nous avons connue depuis un an l’a-t-elle faite évoluer ?
Il faut continuer à développer, avec la profession, avec la Région, les circuits courts et l’approvisionnement. Il faut permettre également un approvisionnement de tous les lieux publics, c’est-à-dire les écoles dans les communes, les collèges, les lycées. Il faut favoriser l’accès au bio, en particulier dans les menus de nos enfants. Il y a un énorme effort à faire. Nous avons en Charente-Maritime une agriculture très équilibrée, avec à peu près tous les types de productions, même s’il y a bien sûr des difficultés pour l’élevage qui sont un peu structurelles. Nous avons une offre agricole d’une très grande richesse et d’une très grande qualité. Il faut bien sûr favoriser les produits qui sont des produits mondiaux, comme le cognac, mais aussi favoriser les produits qu’on peut transformer, consommer et acheter localement.