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Hommage
Lucien Menet, le chêne abattu

Leader agricole et syndical des soixante dernières années, Lucien Menet s’est éteint. Il laisse une empreinte certaine sur l’agriculture départementale dont il a accompagné la transformation.

« Sa compétence, son expérience et son bon sens, autant de qualités qu’il a su très jeune, mettre au service des autres », a salué Michel Pelletier dans son hommage. « Nombreuses sont les responsabilités qui lui ont été confiées, sur le plan local, départemental, régional et national. » Selon lui, il a su en « user départementalement ».
« Sa compétence, son expérience et son bon sens, autant de qualités qu’il a su très jeune, mettre au service des autres », a salué Michel Pelletier dans son hommage. « Nombreuses sont les responsabilités qui lui ont été confiées, sur le plan local, départemental, régional et national. » Selon lui, il a su en « user départementalement ».
© L'Agriculteur Charentais

L’homme était à lui seul l’histoire de l’agriculture des soixante dernières années. Sa voix forte, autant que sa stature, s’imposait dans des raisonnements souvent pertinents, parfois cyniques, très ciblés ou visionnaires. L’école du CNJA, dans le sillage de Michel Debatisse et Raymond Lacombe, avait rivé au corps de Lucien Menet l’adage « voir, juger, agir ». Maraîchain d’Échillais, comme l’a rappelé Michel Pelletier, son compagnon de route, lors de ses obsèques, vendredi dernier, sorti de l’école à 14 ans, Lucien Menet sera l’instigateur du premier concours de labours de Jeunes Agriculteurs dans le début des années 1960. L’exploitation familiale, pourtant amputée par l’installation de la base militaire, fut l’une des toutes premières dans le département à introduire le tracteur dans le travail agricole. En 1962, Lucien Menet devient propriétaire. En 1963, il est élu président du CDJA (Jeunes Agriculteurs). Début d’une longue saga de présidences qu’il enchaînera ou cumulera.

Le jeune Lucien Menet fait « ses armes » auprès des politiques ou des préfets qui font et défont les carrières de fonctionnaires. Daniel Doustin, préfet en 1964, lancera la première restructuration des laiteries (56 à l’époque) dans six unions de coopératives. Autres « révolutions » que le président du CDJA accompagne : la naissance des SAFER, des ADASEA, l’émergence des GAEC. Plus qu’accompagner même, puisqu’il porte sur les fonts baptismaux la SAFER départementale. Des marais de St-Agnant, Lucien Menet ira jusqu’en Suède pour « voir », aux côtés du leader syndical Eugène Forget, premier président de la FNSEA.

Accédant aux responsabilités à la FDSEA, Lucien Menet saura aussi faire « contre-pouvoir » avec des actions, parfois à la limite de la légalité, pour « faire avancer » le droit, mais aussi dans la négociation d’égal à égal avec les élus politiques. Lucien Menet démontra, au long de sa longue carrière syndicale et professionnelle, l’importance du rapport de force dans les discussions ou les négociations. Un art consommé qu’il forgera au cours des nombreux dossiers départementaux qu’il eut à traiter. Il y gagnera une aura lors des fonctions nationales qu’il assumera dès la fin des années 1960. Son combat de ces années sera celui de la mise en valeur des marais, terre ancestrale d’éleveurs. Secrétaire général de la FDSEA aux côtés d’André Boutteau, il met en place sur son exploitation une « ferme de référence ».

Les manifestations agricoles de ces années seront souvent larges, rassembleuses, mais aussi n’hésitant pas à passer à « l’action démonstrative. » Cela lui vaudra au cours de sa carrière, quelques gardes à vue, quelques inculpations et des procès, souvent gagnés, parfois perdus, handicapant sa propre exploitation et sa vie privée.
Élu en 1975 président de la FDSEA, Lucien Menet suivra avec intérêt l’urbanisation des villes de Charente-Maritime, conduisant à une agriculture périurbaine naissante, dans les premiers pas des plans d’occupation des sols. Lui, hostile à « l’impôt sécheresse », a toujours cherché l’accession à la « parité » sociale du monde agricole avec le reste des autres catégories sociales, mais dans la défense des intérêts de production.

Un fort caractère

À la présidence à la FDSEA, même avec le caractère trempé que lui connaissent les collaborateurs de l’époque, Paul Latreille, Henri Bechameil, Pierre Maxime, alors président de la Chambre d’agriculture, Guy Cotton, Claude Belliard, Lucien Menet joue le jeu de l’omniprésence syndicale, de sa nécessaire transversalité dans toutes les organisations professionnelles agricoles, « dans le dialogue des familles. »

À cette époque, le congrès annuel de la FDSEA, mille personnes à Royan, était un événement : défouloir verbal contre les pouvoirs, catalyseur d’une profession, de plus en plus technicienne.

Lucien Menet restera attaché au « développement » agricole, à travers ces groupements dont il fut l’un des plus ardents propagandistes dans le département, surtout lorsqu’il accéda à la présidence de l’organisme national en 1982.

Boulimique des responsabilités, Lucien Menet accède à la présidence de la Chambre d’agriculture en 1983, tout en conservant la présidence de la FNGEDA. Doté d’une mémoire étonnante pour les dates et les personnes, Lucien Menet a mené ses mandats tambour battant. Ses « combats » face aux professionnels ostréicoles seront alors épiques. Les deux camps s’affronteront tant sur les quantités d’eau en marais que sur la qualité. Michel Pelletier bâtira une « coordination » des OPA du département dans l’UDOPA ; union que Lucien Menet prône aussi à Paris, auprès des Chambres d’agriculture, sans succès.

Alors que la Coordination rurale prenait son essor, contestataire de la nouvelle PAC de 1992 à venir, les divisions internes à la FDSEA conduisent Jean-Marie Michelet à prendre sa succession à la présidence de la Chambre d’agriculture en 1989. Éviction que Lucien Menet aura toujours du mal à accepter, quelque peu rancunier, même après son retour en tant que membre de la Chambre comme président des anciens exploitants.

L’homme, pour bourru qu’il apparaissait, était jovial, attentif à qui voulait écouter le récit de ces combats, sa connaissance technique des sujets. Il ne « lâchait rien » comme on dirait aujourd’hui, restant un fin négociateur, mâtiné cependant d’un certain autoritarisme. L’image d’un Lucien Menet juché sur une remorque, mégaphone en main, apostrophant le préfet est indissociable du Lucien Menet, un peu voûté pour atteindre le micro, à la Chambre, retraçant la genèse d’un dossier ou au contraire l’extrapolant quelques années en avant, avec précision, sans oublier ses piques humoristiques pour emporter son auditoire.

Un retraité engagé

Défenseur du « pouvoir professionnel », Lucien Menet, retraité en 1994, retrouvera un lieu où exprimer son dynamisme dans l’animation des sections des anciens exploitants de la FDSEA jusqu’en 2013. Il en assuma la présidence avec la véhémence et la pugnacité dont il fit souvent preuve.  « Ceux qui ont eu la chance de le côtoyer dans la vie professionnelle », ajoute Michel Pelletier, « trouvèrent chez lui, le sens des valeurs, de la conviction, de l’opiniâtreté, mais aussi d’un profond humanisme. »

La voix rocailleuse de Lucien Menet retentira longtemps dans les débats agricoles. Lorsqu’à la dernière décennie du XXème siècle apparaîtront les zonages environnementaux, il s’éleva toujours, publiquement, pour les dénoncer comme « barrières », comme « contraintes » à la production de produits agricoles, comme autant d’obstacles au progrès agricole. Lucide sur les rouages administratifs et « leur perversité », Lucien Menet a toujours souhaité que la Chambre d’agriculture se dote de services juridiques et techniques capables de contrecarrer cette tendance. Toujours très présent dans le monde agricole depuis son installation (« artisan d’une révolution silencieuse » dit Michel Pelletier, « porteuse d’espoirs »), Lucien Menet a marqué plusieurs décennies de « politique agricole départementale », entouré de Bernadette, sa femme, qui prendra nombre de responsabilités à la MSA et dans l’aide à domicile, et de ses enfants, qui le rejoindront dans un GAEC en 1988.

Lucien Menet concluait sa Vie militante, opuscule écrit au début du XXIème siècle, en se disant « observateur ». Certes. Mais rarement muet ! Le chêne a plié devant la grande faucheuse. Restera en mémoire son tronc solide autour duquel, dans son ombre, poussèrent et pousseront des dizaines d’autres, plus élancés, plus frêles, plus audacieux prenant exemple de sa vigueur enracinée dans sa terre maraîchine.

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